Je vous écris de la cité blanche... (2)
Me voilà de retour. Je vous écris à nouveau de la cité, là où je suis revenu pour un dernier voyage en son sein. Il faut que vous le sachiez, la cité n’a pas changé. Tout du moins son âme qui est restée intacte. Certes, sa blancheur d’antan a perdu de son éclat… mais les habitants qui la peuplent, raniment encore son souffle.
Pour cette deuxième partie de mon voyage insolite, j’ai eu envie de vous faire (re)découvrir des lieux, partager mes rencontres et mes retrouvailles, avec une pincée de souvenirs le tout emballé d’un parfum d’émotions et de nostalgie. La porte de la cité s’ouvre à nouveau à moi. Elle m’accueille et en quelques pas m’invite à me faufiler dans ses allées. Mais ce n’est pas sans appréhension que je poursuis ma route. Me voilà donc de retour en ce lieu qui m’a vu grandir et que je n’ai jamais quitté à vrai dire. Un lieu, aujourd’hui à la frontière du réel, qui mérite le détour.
Je poursuis donc mon voyage et mes premiers pas me conduisent à la porte d’entrée de la cage d’escalier où habitait Abdenbi Guemiah (que Dieu ait son âme). Une gerbe de fleurs à sa mémoire rappelle qu’à quelques pas de là Abdenbi était tombé, touché par une balle de 22 long rifle. Une balle tirée depuis le pavillon qui me fait face à l’horizon.
Il me revient au moment du recueillement, l’image d’Abdenbi s’approchant d’un groupe d’enfants dont je faisais partie pour leur jouer de la guitare et accrocher quelques mots de tendresse au cœur d’une cité isolée et délaissée, comme dirait la chanson, loin des regards indiscrets. C’est cette image d’Abdenbi que je garderai à jamais… Une image d’un jeune homme musicien et poète.
Un groupe de jeunes filles prend place. Il est temps pour moi de reprendre ma route. C’est la gorge serrée que je quitte cet endroit.
Je rebrousse chemin pour emprunter l’allée se situant entre les bâtiments D et E. Au détour d’un regard, mon œil s’arrête sur cette épigraphe, inscrite sur le fronton du bâtiment « E » : « Nous vivons dans des taudis ». Il suffit de voir l’état du mur pour s’en rendre compte. A lui seul, ce mur, à l’aspect lugubre, illustre une situation particulièrement dégradée de ce cadre de vie.
Les voitures désossées et les appartements carbonisés suffisent à planter un décor moribond. Un sentiment d’exaspération m’envahit devant cette désuétude. La cité est dans un sale état ! Mon regard reste fixé encore un instant sur cette fresque, symbole d’un état des lieux accablant, où l’on peut également décrypter les inscriptions supplémentaires : « ça ne peut plus durer », « il y en a marre ! MERDE ». Autant d’allégations pour un manifeste rageur. C’est le poing serré que je continue mon chemin.
Un petit détour par la cité vieille, à quelques pas de là, relativise immédiatement l’impression recueillie.
Me voilà aux abords de la cité André Doucet… la voisine. J’avance à petits pas, l’air hagard et stupéfait, à la limite embarrassé. Cette misère ambiante me met mal à l’aise. Un sentiment d’injustice soulève mon cœur. Le décor est consternant. Dans ces baraquements d’apparence abandonnés vivent en réalité des familles.
La cité Vieille. Un lieu « insupportable » pour une vie ordinaire. Je voudrai rendre hommage aux habitants de cette cité en les saluant à travers ce voyage. Ici, les conditions de vie eurent été insupportables à quiconque les aurait endurées. Ceux qui y ont vécu les ont supportées. La cité Vieille. Un lieu « insoupçonnable » pour une vie pleine de souvenirs et d’émotions.
Ici aussi, on peut lire des graffitis dénonciateurs et contestataires : « Ces maisons nous les avons payées 36 fois », « Il y en a marre ! ».
« Il y en a marre ! » A la cité Blanche ou à la cité Vieille, les auteurs se sont donné le mot. Deux coups de gueule pour un même ras le bol. En inscrivant leur mécontentement et leur révolte, les auteurs ont transformé les supports en de véritables pans de mémoire.
Je poursuis mon voyage, empreint d’un sentiment de tendresse et de désolation.
Me voilà de retour à la cité Blanche où j’espère retrouver des amis et les ambiances d’autrefois. Mon imagination grandit et l’impatience me gagne.
J’aperçois au loin un groupe de jeunes vers qui je me dirige. Je ne les distingue pas assez pour les reconnaître. Mais à mesure que je m’en approche, les visages prennent forme peu à peu, puis se précisent et enfin se dévoilent. Je reconnais naturellement Ali Hanane, Mohamed Masmoudi et Hamid Harmi.
Je jubile intérieurement comme s’il s’agissait d’un privilège rare que de les revoir. Ils n’ont pas pris une ride. A mon grand regret, ils ne me reconnaissent pas. Qu’importe. Je suis heureux, c’est bien le principal. Je leur raconte ma balade là où j’ai passé toute mon enfance. Ils m’identifient mais ne semblent pas y croire. Djamel, ils le connaissent… ils fait partie de leurs amis. Moi, je ne suis qu’un voyageur. C’est ainsi que je m’éloigne d’eux sans davantage les importuner. En les quittant, sans parvenir à retenir une larme, le chant du muezzin me rappelle à mon devoir.
Je remonte vers la mosquée, à pas pressés, pour aller prier. A proximité, ma démarche se fait plus silencieuse, plus lourde et surtout plus lente. Une certaine excitation me gagne tandis que mon cœur tambourine contre ma poitrine, au point que je n'entends plus rien d'autre sauf ce rythme accéléré. Je m’approche de la porte d’entrée avec une certaine appréhension et me retiens de soupirer avant de pénétrer dans la mosquée. Au moment de passer la porte, les souvenirs défilent : du premier jour d’école arabe quand j’ai appris la fatiha, des tahmilates, de nos maitres, de la lecture du Coran en groupe et d’autres souvenirs encore.
Le temps à passer à me déchausser me permet de m’accoutumer à l’atmosphère du jama3. A l’instant de pénétrer dans la salle de prière, je suis accueilli par un groupe d’enfants comme s’ils m’attendaient. C’est une grande surprise. Je décide de les prendre en photo pour immortaliser cet instant. Mon large sourire trahit mon enthousiasme.
Savent-ils qui je suis ou me prenne-t-il seulement pour un photographe ? Je ne souhaite pas me présenter pour éviter de les troubler. Je les remercie de ce précieux instant qu’ils ont bien voulu m’offrir. Ma seule déception est de ne pas me retrouver dans cette assemblée.
Il est l’heure d’aller prier. L’Ikamat Assalat (debout à la prière) est prononcé. Je suis très exalté à l’idée de prier dans cette mosquée en leur compagnie. […]
A l’issue de la prière et des invocations, je les quitte en les saluant tout en portant ma main sur mon cœur. Mon esprit est abreuvé de ce grand moment qui restera inoubliable.
A ce stade du voyage, l’émotion est à son comble. J’ai les yeux brillants de larmes et de bonheur.
Il est l’heure de revenir à mon présent et de vous ouvrir mon carnet de voyage. Mais j’ai le sentiment que la cité n’a pas fini de me surprendre. Je la connais assez bien pour y avoir vécu et pourtant je rêve de la (re)découvrir à nouveau.
Je longe l’allée de la mosquée en direction de la sortie.
Au passage, j’aperçois des enfants jouant à la marelle, un jeu de prédilection à la cité.
Je m’attarde quelques instants en observant ces enfants aiguisant leur adresse afin d’atteindre à cloche pied le paradis tout en évitant l’enfer. Me voilà de retour en enfance. Les yeux fermés, je parcours à mon tour ce jeu de marelle, de la terre au ciel, récupérant au passage la boite à chemma en guise de palet.
La porte du temps va bientôt se refermer, il me faut me hâter. Le temps est inexorable. J’aurais peut-être l’occasion de revenir ici tel un pèlerinage pour rapporter d’autres images pleines d’émotions.
Je vous ai écrit de la cité Blanche où je me suis faufilé dans ses allées à la découverte d’un trésor aujourd’hui enfoui en chacun de nous. Ce fut un vrai moment de bonheur. Des images, des moments d’amitié et des bribes de vie ont défilé sous mes yeux.
Je me retourne une dernière fois avant de partir pour remercier la cité de m’avoir accueilli pour cette balade insolite. On dit qu’avec le temps les souvenirs s’effacent, que le passé s’estompe, mais grâce à ce voyage enrichi, la cité a refait surface.
Djamel SELMET
(Lire la première partie du voyage)
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